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nicolas gauthier - Page 23

  • Pourquoi opposer l'Europe des régions à celles des nations ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question des régions, en France comme en Europe...

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    Pourquoi opposer l’Europe des régions à celle des nations ?

    Régionalisme contre colbertisme, le débat ne date pas d’hier. Était-il opportun pour le gouvernement de le relancer, à la va-vite, après deux déculottées électorales ?

    « À la va-vite » est l’expression qui convient, puisqu’il n’est prévu ni référendum ni consultation ou concertation préalables. Personnellement, je n’ai pas d’objection de principe au redécoupage ou au regroupement de certaines régions. Encore faut-il que celles-ci soient considérées comme des entités dont l’identité repose d’abord sur l’histoire et la culture, non comme des territoires technocratiques ou des fiefs électoraux. Or, l’intention affichée par François Hollande de ramener de 22 à 14 le nombre des régions répond surtout à des considérations technocratiques ou électorales. S’y ajoute le désir de réduire le coût du « mille-feuille » administratif, en faisant primer la « cohérence économique » sur les considérations identitaires.

    Cette façon de faire s’apparente à la manière dont la Révolution française avait en 1790-91 créé les départements dans une optique de « rationalisation » dont l’objectif était de démanteler les anciennes provinces. L’argument économiste de la « taille critique » que devraient automatiquement avoir les régions n’est pas plus convaincant. En Allemagne, la taille moyenne des 16 Länder n’excède pas la dimension moyenne des régions françaises actuelles. Certains de ces Länder sont même assez petits, comme la Sarre, le Mecklembourg ou le Schleswig-Holstein, pour ne rien dire de la ville de Brême, qui est un État au même titre que la Bavière ou le Land de Rhénanie-Westphalie. La puissance d’une région ne dépend pas toujours de sa superficie ni de sa population.

    Le seul trait positif du projet gouvernemental est de prévoir la réunification de la Normandie (la folle idée de Laurent Fabius de la rattacher à la Picardie ayant été abandonnée), que le Mouvement normand de Didier Patte réclame depuis plus de quarante ans. On peut aussi approuver le regroupement de la Bourgogne et de la Franche-Comté, voire celui de l’Alsace et de la Lorraine, bien que la première soit tournée vers l’est (le pays de Bâle et le Bade-Wurtemberg), tandis que la seconde regarde plutôt vers la partie septentrionale de l’ancienne Lotharingie. Tout le reste est contestable, voire absurde.

    La région Poitou-Charentes va être mariée avec le Centre et le Limousin, alors qu’il aurait fallu rapprocher le Poitou-Charentes de la Vendée, réunir le Centre et les Pays de la Loire et regrouper l’Auvergne, le Limousin et l’ancien Berry. La fusion du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées, celle de la Picardie et de Champagne-Ardennes sont pareillement injustifiables. Mieux aurait valu faire fusionner Midi-Pyrénées et Aquitaine afin de reconstituer l’ancienne Guyenne et Gascogne. Quant à la décision d’isoler Nantes du reste de la Bretagne, entérinant ainsi l’amputation pratiquée en 1941 par le régime de Vichy, c’est un véritable scandale.

    Vous militez de longue date pour une Europe des régions, mais vous avez aussi beaucoup d’amis chez les partisans d’une France souveraine. Ça doit être chaud, chez vous, les débats ! Pensez-vous qu’une synthèse soit plausible entre ces deux positions, a priori pas vraiment conciliables ?

    Je n’oppose pas l’Europe des régions à celle des nations. Je pense qu’il faut les défendre les unes comme les autres, ce qui se fait sans peine dans une optique fédéraliste fondée sur le principe de subsidiarité. Ce fédéralisme n’a évidemment rien à voir avec celui que l’on attribue à tort à l’Union européenne, laquelle ne repose nullement sur le fédéralisme intégral tel que le comprenaient Alexandre Marc ou Denis de Rougemont, mais sur le centralisme bruxellois. Quant à la « synthèse » dont vous parlez, elle pourrait s’établir à partir d’une réflexion commune sur la notion de souveraineté. Mais il y a deux façons de comprendre la souveraineté : à la façon de Jean Bodin (1529-1596), comme allant de pair avec la nation « une et indivisible », ce qui a d’abord abouti à l’absolutisme monarchique, puis au jacobinisme républicain ; ou bien à la façon de Johannes Althusius (1557-1638), fondateur du fédéralisme, qui répartit la souveraineté à tous les niveaux. Dans le premier cas, l’autorité la plus haute (qu’elle soit parisienne ou bruxelloise) est omnicompétente ; dans le second, c’est la règle de la compétence suffisante qui s’impose.

    Au sein de l’« extrême droite », avec tous les guillemets que ce vocable suppose, l’un des principaux reproches faits à Marine Le Pen demeure son « jacobinisme ». Cette critique est-elle légitime et, si oui, est-elle véritablement si importante en une époque où tout paraît se déliter, les régions comme les nations ?

    Laissons de côté l’extrême droite, à laquelle je n’appartiens pas. Il me paraît en effet évident que Marine Le Pen est très hostile au régionalisme et qu’elle assimile l’Union européenne à l’Europe, ce que je trouve dommage. Le jacobinisme se situe dans la perspective d’un jeu à somme nulle : tout ce qui est accordé aux régions serait enlevé à la « nation ». Je pense au contraire qu’une nation n’est forte que de la vitalité et de la liberté de ses composantes, que l’État et la nation ne sont pas la même chose, que nationalité et citoyenneté ne sont pas forcément synonymes, et que les régions devraient même été dotées d’un véritablement Parlement, à l’instar du Landtag existant dans les Länder, lesquels ne menacent en aucune façon l’unité de l’Allemagne. Cela dit, vous n’avez pas tort de dire qu’à une époque où tout paraît s’effondrer, de telles considérations sont assez inactuelles. Leur inactualité relative pourrait justement permettre d’en discuter calmement.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 18 juin 2014)

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  • La publicité, arme de l'idéologie dominante...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la publicité... 

     

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    Le message publicitaire ? Le bonheur réside dans la consommation…

    La réclame a toujours existé, puisqu’un fabricant a besoin de faire savoir que ses produits existent ; mais cela semble être devenu une industrie à part entière. Le faire savoir compterait-il plus désormais que le savoir-faire ?

    Le problème ne tient pas à l’existence de ce qu’on appelait autrefois la« réclame ». Il tient à ce que la publicité envahit tout et mobilise les esprits dans des proportions dont les gens ne sont même pas conscients. Un enfant connaît aujourd’hui beaucoup plus de marques publicitaires qu’il ne connaît d’auteurs classiques. Les paysages urbains sont défigurés par des panneaux publicitaires qui prolifèrent comme des métastases. Les campagnes n’y échappent pas non plus. La télévision ne propose plus des programmes financés par la publicité, mais des messages publicitaires entrelardés de programmes qui ne sont là que pour inciter à regarder les premiers. Rappelez-vous les déclarations de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, en juillet 2004 : « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »Même chose dans la presse, puisque les principaux titres ne peuvent plus survivre qu’en accumulant les pages de publicité. Dans tous les cas, la publicité se voit dotée d’un pouvoir qui va bien au-delà du « faire savoir » – d’autant qu’elle n’est pas la dernière à véhiculer des images, des slogans (de plus en plus fréquemment proposés en anglais, d’ailleurs), des situations, des rapports sociaux, voire des types humains, qui sont en stricte consonance avec l’idéologie dominante. Autrefois, on parlait de propagande. Aujourd’hui, on parle de communication. La publicité est devenue la forme dominante de la communication (y compris, bien sûr, de la communication politique) dans la mesure où elle tend à s’instaurer comme la forme paradigmatique de tous les langages sociaux.

    Dans un entretien précédent, vous disiez considérer la publicité à la télévision comme infiniment plus obscène que n’importe quel film pornographique. Etait-ce une allusion à l’habitude des publicitaires de dénuder des femmes pour vendre des yaourts ou des voitures ? Ou bien vouliez-vous dire que le point commun de la publicité et de la pornographie est qu’elles suscitent l’une et l’autre de la frustration ?

    Ce qui est obscène ne se rapporte pas seulement à la sexualité, mais aussi à la morale sociale, à tout ce qui choque la « décence commune » chère à George Orwell. Étymologiquement, l’« ob-scène » est ce qui n’appartient pas à la scène, ou ne devrait pas lui appartenir. La publicité est obscène, non seulement parce qu’elle est mensongère (toutes les publicités sont mensongères), mais parce qu’elle véhicule implicitement un seul et unique message : le bonheur réside dans la consommation. La raison d’être de notre présence au monde est réduite à la valeur d’échange et à l’acte d’achat, c’est-à-dire à un acte performatif qui voue nécessairement à la frustration (car toute possession dans l’ordre de la quantité appelle nécessairement le désir de posséder plus encore). Jean Baudrillard l’avait bien montré dans ses travaux pionniers sur le système des objets : la publicité est le principal vecteur d’une logique inhérente au système capitaliste qui consiste, d’un côté, à persuader les individus qu’ils éprouvent réellement tous les besoins qu’on veut leur inculquer, et de l’autre à susciter en eux des désirs que la consommation ne peut satisfaire.

    Le pouvoir de la publicité est de faire oublier qu’un produit est issu avant tout d’un travail, c’est-à-dire d’un certain type de rapport social, et de le faire percevoir comme un simple objet consommable, c’est-à-dire une commodité. L’expérience économique réelle est remplacée par des signaux visuels inhérents à un message conçu en termes de séduction. En dernière analyse, l’individu ne consomme pas tant le produit qu’on l’incite à acheter que la signification de ce produit telle qu’elle est construite et projetée dans le discours publicitaire, ce qui l’infantilise et occulte la capacité du produit acheté à revêtir une véritable valeur d’usage. La publicité, enfin, contribue au conformisme social – et à un ordre social obéissant aux modèles diffusés par la mode – dans la mesure où elle se fonde sur une forme de désir purement mimétique : en cherchant à nous convaincre de consommer un produit au motif qu’il est consommé par (beaucoup) d’autres, la publicité nous dresse à calquer notre désir sur le désir des autres, en sorte qu’en fin de compte la consommation est toujours consommation du désir d’autrui. Conscience sous influence !

    De plus en plus de cinéastes – Ridley Scott au premier chef – viennent de la publicité. Simple effet du hasard ?

    Même les réalisateurs qui ne viennent pas de la publicité sont touchés. La porosité de la frontière entre la publicité et le cinéma n’a rien pour surprendre, puisque l’une et l’autre relèvent du système du spectacle, mais le plus caractéristique est que la publicité influe de plus en plus sur l’écriture cinématographique. De plus en plus de films destinés au grand public – et non des moindres – ressemblent à une suite de clips publicitaires, ces derniers étant d’ailleurs de plus en plus conçus eux-mêmes comme de très brefs courts-métrages.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 mai 2014)

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  • « Redonner la parole au peuple est toujours une bonne chose»...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la démocratie et à son exercice... 

     

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    Plus une démocratie est représentative, moins elle est démocratique !

    Le peuple suisse a voté récemment à propos de l’immigration de masse. Du coup, certains s’indignent qu’on ait demandé au peuple de trancher. Mais le peuple a-t-il toujours raison ?

    Le peuple n’est évidemment pas infaillible (les élites le sont encore moins), mais ce n’est pas dans ces termes que se pose le problème. Pour décréter que le peuple a « tort » ou « raison », il faut pouvoir se référer à des critères surplombants qui n’existent tout simplement pas : de tels critères renvoient toujours à une opinion personnelle ou à une idéologie qui, telle l’idéologie des droits de l’homme, cherche à placer l’exercice de la démocratie sous conditions. Comme tout autre vote, un référendum n’a pas pour but de dire où est la vérité, mais de révéler ce que pensent les gens. On ne fait pas voter les citoyens pour se prononcer sur la valeur de vérité de la théorie de Darwin ou des décisions du concile de Trente, mais pour savoir ce qu’ils pensent politiquement !

    La démocratie est un régime qui se fonde sur la souveraineté du peuple, ce qui signifie qu’un pouvoir, pour être légitime, doit pouvoir recueillir l’approbation ou le consentement des citoyens. Mais la démocratie est aussi, et surtout, le seul régime politique qui permet à tous les citoyens d’exprimer leur sentiment sur les questions qui les concernent. C’est donc une erreur de n’y voir qu’un régime fondé sur la « loi du nombre ». Le suffrage universel n’est en réalité qu’une technique permettant de révéler des préférences. La notion-clef en démocratie n’est pas le suffrage, mais la participation.

    En France, pareillement, le Front national – pour ne citer que lui – assure vouloir redonner la parole au peuple. Et ces jours-ci, on manifestait à Paris pour exiger un référendum sur l’immigration. Est-ce forcément une bonne idée ?

    Redonner la parole au peuple est toujours une bonne chose. Surtout lorsque l’on sait qu’il n’a jamais été appelé à s’exprimer sur la plupart des transformations de société qui ont le plus affecté son existence quotidienne, qu’il s’agisse de l’immigration, de la construction européenne, du « mariage pour tous », etc. Le référendum est en outre une procédure relevant de la démocratie directe, c’est-à-dire de cette démocratie participative qui est aujourd’hui la seule susceptible de corriger les défauts d’une démocratie représentative qui ne représente plus rien. Plus une démocratie est représentative, moins elle est démocratique, disait très justement Carl Schmitt : dans une démocratie représentative, le peuple abandonne en effet sa souveraineté à ses représentants. C’est ce qu’avait également observé Rousseau. Surtout quand il est issu de l’initiative populaire, comme en Suisse, le référendum est de nature à corriger une crise de la représentation née de la confiscation de la décision par la Nouvelle Classe politico-médiatique. Cela dit, le référendum n’est pas une panacée : quand le peuple s’est exprimé par voie de référendum, ce qui compte, c’est ce qui vient après, en l’occurrence la façon dont l’opinion révélée par le vote se transpose ou non dans la réalité. C’est là en général que les difficultés commencent.

    Il faut aussi que la question soumise au référendum soit bien formulée. Pour porter un jugement sur la démarche de ceux qui déclarent « vouloir un référendum sur l’immigration », j’attendrai de connaître le libellé de la question qu’ils voudraient voir posée.

    Pour expliquer son opposition à la demande de la Crimée d’obtenir son rattachement à la Russie, Laurent Fabius a doctement déclaré « qu’en droit international, on ne peut pas faire un référendum pour modifier des frontières ». « Imaginez un département de France qui demande son indépendance ! », a-t-il ajouté. Qu’en pensez-vous ?

    Laurent Fabius n’a jamais brillé par ses compétences juridiques. La déclaration que vous citez se contente de répéter ce qu’a déclaré Barack Obama, ce qui ne saurait surprendre, le gouvernement de François Hollande prenant ses ordres à la Maison-Blanche. L’actuel ministre des Affaires étrangères ignore sans doute qu’en septembre prochain, les Écossais se prononceront par référendum sur leur éventuelle indépendance. Pourquoi les habitants de la Crimée se verraient-ils interdire de s’exprimer à la façon des Écossais ? La phrase : « Imaginez un département de la France qui demande son indépendance ! » est encore plus grotesque. Laurent Fabius a apparemment oublié qu’en 1962, trois départements français (Alger, Oran et Constantine) se sont proclamés indépendants pour devenir la République algérienne, et que cette indépendance a été formellement consacrée par un référendum qui s’est déroulé en Algérie le 1er juillet 1962 (99,72 % de « oui »), lui-même précédé en France, le 8 janvier 1961, par un référendum sur l’autodétermination de l’Algérie (74,99 % de « oui »).

    Alain de Benoist , propos recueillis par Nicolas Gauthier(Boulevard Voltaire, 10 mars 2014)

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  • Phobies en tous genres...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la façon dont le système s'attache à discréditer ses opposants en les présentant comme des malades...

     

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    Phobies en tout genre et points Godwin : l’État se défend comme il peut…

    Islamophobie, lepénophobie, judéophobie, homophobie, cathophobie et maintenant familiophobie… Le débat politique serait-il en train de passer de la traditionnelle confrontation d’idées à un bidule se situant entre salles d’urgence et cérémonie vaudou ?

    Certains de ces termes ne veulent pas dire grand-chose. D’autres se justifient : Pierre-André Taguieff n’a pas tort de parler de « judéophobie » plutôt que d’antisémitisme, terme de toute évidence mal construit (les Arabes sont aussi des Sémites). Mais c’est un fait que, de phobie en phobie, on passe à côté de l’essentiel. Il est tout simplement faux qu’une critique dirigée vers une idéologie ou une croyance quelconque, et par extension vers ceux qui se reconnaissent en elle, soit nécessairement l’expression d’une phobie, c’est-à-dire d’une détestation systématique et irraisonnée de tout ce qui s’y apparente. On peut critiquer l’islam sans être islamophobe (ni même islamistophobe), le christianisme sans être christianophobe, les catholiques sans être cathophobe, etc. La vérité oblige cependant à dire que l’attitude phobique se rencontre aussi. On la reconnaît sans peine à l’incapacité d’admettre la complexité du réel, de tenir compte des nuances ou de faire les distinctions nécessaires. Les islamologues de comptoir, qui traitent de l’islam comme d’un tout homogène et unitaire, citent (de seconde main) les sourates du Coran comme d’autres « experts » citent les Protocoles des Sages de Sion, et dénoncent leurs contradicteurs comme des « islamo-fellateurs », « lécheurs de babouche » et « dhimmis » en puissance, rentrent dans cette catégorie, qui relève moins de la politique que du trouble obsessionnel compulsif.

    Une phobie, c’est une peur irraisonnée, telle celle du vide ou des araignées. En serions-nous revenus au temps de l’URSS, quand les opposants étaient placés soit en hôpital psychiatrique, soit au Goulag ?

    Nonobstant ce que je viens de dire, il est évident qu’accuser systématiquement n’importe quel contradicteur d’être phobique de quelque chose n’est qu’une manière de disqualifier son argumentation, et donc d’éviter le débat. Un certain nombre d’opinions étant par ailleurs désormais considérées comme des « délits », l’exclusion de principe des présumés cinglés et des criminels en puissance permet d’assurer à la pensée unique le monopole de la parole légitime. Mais il ne faut pas oublier non plus que la phobie est avant tout un terme médical, et que le langage médical est l’une des langues préférées de l’État thérapeutique et hygiéniste. Je mettrai cette façon de faire en rapport avec la tendance de l’idéologie dominante à « psychologiser » les problèmes auxquels les individus sont confrontés. Afin de masquer les causes politiques et sociales des diverses misères qui frappent les citoyens, on cherche à les convaincre que leurs « difficultés » renvoient à une mauvaise gestion de leurs affects, et qu’il faut avant tout traiter leur « ressenti ». Le chômage engendré par les licenciements boursiers renvoie ainsi, non au cynisme des patrons du CAC 40, mais à des « problèmes d’existence » qui trouvent leur source dans le fait de s’être mal orientés dans la vie. En d’autres termes, on reconvertit sous l’angle de la psychologie individuelle des réalités qui relèvent tout simplement de la politique, quand ce n’est pas de la lutte de classes.

    Cette intrusion sémantique médicale a été précédée par des incantations relevant de l’ordre moral. « Mieux vaut perdre les élections que de perdre son âme », assurait le repris de justice Michel Noir. Du coup, on se demande qui est fou et qui ne l’est pas. Et, pis que tout, qui est en train de le devenir…

    Au sens de la métaphore, la « folie » peut prendre bien des formes. Ce qui frappe dans les débats actuels, c’est la façon dont la moindre polémique entraîne maintenant une surenchère dans la montée aux extrêmes. La quenelle devient un « salut nazi inversé », le grand écrivain Richard Millet est décrété « pire que Hitler », les opposants au mariage gay sont réputés véhiculer des idées « nauséabondes » (comme si les idées avaient une odeur !), et Le Nouvel Observateur peut publier une photo d’Éric Zemmour pour illustrer une première page sobrement titrée « La haine ». L’excommunication mémorielle va de pair avec l’éternel retour des « années trente », et la distribution tous azimuts des points Godwin. On a l’impression qu’une grande partie de la nouvelle classe politico-médiatique est effectivement devenue folle au sens clinique du terme. Ces gens-là deviennent fous parce qu’ils ne sont plus en mesure d’analyser le moment historique où nous sommes, parce qu’ils n’ont plus que des références intellectuelles obsolètes, parce qu’ils ne sont plus producteurs ni de socialité ni de véritable culture. Et surtout parce qu’ils sont sur la défensive. Terrorisés à l’idée de perdre leurs positions, leurs jetons de présence et leurs privilèges, ils deviennent fous parce qu’ils savent qu’ils ont le dos au mur. C’est pour cela qu’ils traitent d’extrémistes, de fascistes et de nazis tout ceux qui les contredisent. N’ayant plus d’arguments, ils se raccrochent désespérément à ces termes qui s’usent chaque jour un peu plus – et d’autant plus vite qu’ils en font plus usage. Il y a quelque chose de tristement pathétique dans ce spectacle. Plus ils donnent dans l’hystérie, plus ils scient la branche sur laquelle ils campent. La fin d’un monde.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 mars 2014)

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  • Sous les pavés, Paris plages !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à cette gauche libérale libertaire confortablement installée au cœur du système...

     

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    Les gauchistes voulaient la plage sous les pavés : ils ont eu Paris Plages !

    Nouvelle antienne de la droite de la droite, que de dénoncer la gauche de la gauche. Mais aujourd’hui, que représente exactement le « gauchisme » ?

    Pas grand-chose. Ce qu’on appelle de façon sommaire les organisations « gauchistes » (situées à la gauche du PC) ont connu leur heure de gloire à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Dès 1974, les obsèques de Pierre Overney, militant maoïste tué aux portes des usines Renault de Boulogne-Billancourt, avaient marqué la fin d’une époque. Certaines de ces organisations étaient bien structurées, beaucoup s’inscrivaient dans une filiation remontant à l’entre-deux-guerres. Il n’en reste presque plus rien. Le maoïsme a disparu, à la possible exception d’Alain Badiou. Les sectes trotskistes parlent de moins en moins de Trotski, et bien des anarchistes se sont coupés de ce qu’il y avait de meilleur dans la tradition libertaire. En marge de ces marges, il y a aujourd’hui des petits groupes d’« antifas », des jeunes gens qui se trompent d’époque (ils n’ont toujours pas compris que nous sommes sortis des années 30) et qui ont recours à la violence pour dissimuler leur absence d’audience dans l’opinion. Ils se font objectivement les chiens de garde de l’ordre en place, c’est-à-dire du désordre établi, voire la police supplétive du ministère de l’Intérieur. Dimension historique de leurs psychodrames : néant.

    Ce qui existe toujours, ce sont des « anciens » de ceci ou de cela : anciens trotskistes, anciens maos, etc. Mais, comme tous les anciens, ils ont pour la plupart fait la part des choses. Il y a aussi des réseaux confortés par le parisianisme ou entretenus par des souvenirs de passé commun, ce qui explique certains parcours individuels. Quelques-uns de ces « anciens » se retrouvent aujourd’hui chez les Verts, mais la grande majorité s’est ralliée au système, comme l’avait bien vu le regretté Guy Hocquenghem (Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary). Le grand symbole est Libération, qui commença sous les auspices de la Gauche prolétarienne à l’époque de Jean-Paul Sartre pour finir aux mains des banques sous François Hollande.

    Qu’il s’agisse de dénoncer la conception permissive de la justice de Christiane Taubira ou de déplorer l’effondrement de l’école, c’est également devenu une habitude, de s’en prendre aux « soixante-huitards attardés ». Une explication convaincante ?

    Les « soixante-huitards » (« attardés », bien sûr) représentent à droite une sorte de mythe répulsif. Une formule toute faite qui ne veut pas dire grand-chose. Ceux qui l’emploient ont rarement vécu Mai 68, dont ils n’ont qu’une image très superficielle. Ils ont en général oublié que Mai 68, ce fut aussi la dernière grande grève générale de l’histoire de France, un spectacle qui aurait ravi Georges Sorel. Ils ne voient pas, surtout, qu’au-delà des étiquettes du moment et des proclamations inspirées par une rhétorique « révolutionnaire », deux tendances totalement opposées se sont exprimées durant ce mois de mai. Il y avait d’un côté une critique argumentée, parfois inspirée du situationnisme, de la société de consommation et du spectacle, du primat des valeurs marchandes, critique avec laquelle je n’ai pour ma part aucun mal à sympathiser. Et de l’autre, une tendance hédoniste, permissive, qui s’illustrait par des slogans tels que « Jouir sans entraves », « Sous les pavés, la plage ! », etc. C’est cette seconde tendance qui a fourni les plus gros bataillons de « repentis », car ses représentants ont vite réalisé que ce n’était pas la « révolution », mais au contraire le capitalisme libéral qui allait le mieux leur permettre de réaliser leurs aspirations. Ils voulaient découvrir la plage sous les pavés. Ils ont eu « Paris Plages » !

    Si l’idéologie dominante n’est pas fondamentalement « gauchiste » ou « soixante-huitarde », elle est quoi ?

    Depuis l’effondrement des « grands récits » dont parlait Jean-François Lyotard, l’idéologie dominante est un mélange de libéralisme économique et de libéralisme sociétal, légitimé par la thématique des droits subjectifs. Autrement dit, la société de marché et les droits de l’homme comme nouvelle religion civile de notre temps. Adossé à l’utilitarisme et à l’axiomatique de l’intérêt, le type anthropologique que promeut cette idéologie est celui de l’individu narcissique, qui cherche en permanence à maximiser son meilleur intérêt et à obtenir une traduction institutionnelle de ses désirs.

    Cette idéologie recouvre la quasi-totalité du champ politique. Au cours des trente dernières années, la droite a abandonné la nation et la gauche a fait de même du peuple, l’une et l’autre se retrouvant pour diaboliser tout grand projet collectif susceptible de s’opposer au libéralisme mondialisé. La conséquence en est la quasi-disparition de la pensée critique. Le message que distillent implicitement tous les médias est que les régimes sociaux actuels constituent la forme définitive de l’évolution politique de l’humanité, que « l’État de droit » représente « l’horizon indépassable » de la démocratie, que les « inégalités ontologiques » (le « sexisme », le « racisme ») sont beaucoup plus importantes que les inégalités sociales, qu’il faut avant tout lutter contre les « archaïsmes » et les « discriminations », et que le modèle du marché est le paradigme de tous les faits sociaux. L’intériorisation de cette idée par des citoyens ainsi conviés à n’envisager l’avenir que sous l’horizon de la fatalité aggrave évidemment leur désespérance. Si toute tentative de sortir du système en place est condamnée par avance (comme utopique, antidémocratique, voire totalitaire), quel autre choix peut-on avoir que de subir et de se résigner ? Faute d’alternative, on ne voit donc se succéder que des alternances. Or, une alternance est tout autre chose qu’une alternative. Mais l’histoire reste ouverte !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 22 février 2014)

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  • La dignité humaine : une notion fourre-tout ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la notion de dignité humaine, utilisée dans le débat publique pour justifier aussi bien l'interdiction des spectacle de Dieudonné que l'autorisation de l'euthanasie...

     

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    La dignité humaine : une notion fourre-tout

    Manuel Valls a obtenu du Conseil d’État qu’il interdise un spectacle de Dieudonné au motif que celui-ci portait atteinte à la « dignité humaine ». On évoque aussi la dignité humaine à propos de l’euthanasie. L’expression n’est certes pas nouvelle, mais que vous inspire son emploi tous azimuts ?

    La « dignité » fait partie de ces mots dont le sens a complètement évolué au fil des siècles. Chez les Romains, la dignitas est une vertu au même titre que la gravitas ou la pietas. Tous ne la possèdent pas également, car elle s’apparente au mérite. Il y a ceux qui en font preuve, face aux épreuves et aux revers de la vie par exemple, et ceux qui en sont incapables. Chez Montesquieu, la dignité dénote encore la distinction et, en ce sens, elle s’oppose à l’égalité. Mais aujourd’hui, la « dignité » a une tout autre signification. Conformément à la Déclaration des droits de l’homme de 1948 (« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité en en droits »), elle est perçue comme un attribut de l’individu à seule raison de son appartenance à l’espèce humaine, une qualité morale inaliénable liée à son essence qui, à ce titre, exigerait un respect inconditionnel. Tout homme est réputé être détenteur d’une « dignité » intrinsèque inhérente à sa personne, que cette personne s’appelle Staline, Hitler ou Mère Teresa. On ne saurait plus être ontologiquement indigne, la dignité n’étant pas susceptible d’un plus ou d’un moins.

    Il y a donc des façons très différentes de comprendre le concept formel de « dignité humaine ». On le voit bien dans les débats sur la bioéthique, la même expression pouvant être alléguée pour défendre l’euthanasie active (le « droit de mourir dans la dignité ») ou au contraire pour la condamner (« l’égale dignité de toute vie »). En proclamant en 1991 que « la dignité de l’homme tient à son humanité même », le Comité consultatif national d’éthique n’a strictement rien éclairé. Il est tout aussi difficile de faire de la « dignité humaine » un élément constitutif de l’ordre public, à la façon d’un Manuel Valls voulant interdire un spectacle avant même qu’il ait eu lieu, c’est-à-dire pour restaurer la censure préalable. Plusieurs juristes n’ont pas manqué de le souligner. Tel est le cas d’Anne-Marie le Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes I, qui n’hésite pas à parler de « notion fourre-tout ». « Ériger cette notion philosophique et morale, éminemment subjective et relative, en norme juridique, écrit-elle, est une folie […] aboutissant à un arsenal répressif menaçant notamment la liberté d’expression. »

    Avant la fin de vie, il y a la vie tout court. La marchandisation des personnes n’est-elle pas une autre forme d’atteinte à la dignité humaine ?

    C’est l’évidence. Les moralistes ont d’ailleurs de tout temps opposé ce qui a un prix à ce qui a une dignité. « Ce qui a un prix, écrit Kant, peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; au contraire, ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité. » Disons que ce qui fait la valeur des individus, c’est qu’ils ne sont pas substituables : de ce point de vue, aucun n’en vaut un autre. Dès l’instant où l’existence humaine est réduite au domaine du calculable, de l’évaluation comptable, dès l’instant où, au lieu de reconnaître que l’homme est une « totalité de sens », comme le disait Hegel, on considère que ce qui n’a pas de sens économique n’en a aucun, on porte atteinte à la dignité humaine. Mais c’est précisément ce que fait le système de l’argent, dont le présupposé implicite est que l’on n’est que ce que l’on a. Soit l’on donne la priorité à l’être, soit on la donne à l’avoir. Nous sommes aujourd’hui dans la civilisation de l’avoir.

    Pour le dire autrement, nous sommes passés d’une époque où l’on était riche parce que l’on était puissant à une époque où l’on est puissant parce que l’on est riche. Comme le disait Jacques Séguéla, « si t’as pas de Rolex à cinquante ans, c’est que t’as raté ta vie ». Les États, quant à eux, vivent désormais dans la dépendance des marchés financiers et des agences de notation. Ne nous étonnons pas que la plupart des démocraties soient devenues de simples oligarchies financières.

    Pareillement, il paraît de plus en plus difficile à de plus en plus de gens de vivre dignement de leur travail. Encore une autre atteinte à cette même dignité humaine ?

    Quand on parle de dignité, il est de coutume de citer la maxime kantienne selon laquelle il faut toujours traiter autrui comme une fin et non comme un moyen (Critique de la raison pratique). Dans les faits, c’est évidemment la pratique inverse qui prévaut. De même que le droit au travail n’a jamais fourni un emploi, la « dignité » qu’on attribue à chacun n’a jamais empêché le capital d’exploiter le travail vivant. De même, si la « réussite » sociale est ce qui s’exprime d’abord en termes monétaires, alors il n’est pas immoral de recourir à tous les moyens pour s’enrichir. Les milliardaires du CAC 40 le savent depuis longtemps.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 février 2014)

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